C’est l’un de ces petits paradis verdoyants, bercés par le flux des marées, qui se cachent sur les rives de la presqu’île de Rhuys : par-dessus les haies de chênes, on aperçoit les eaux scintillantes du golfe du Morbihan. En ce début d’après-midi, la ferme de Coqueno semble déserte. Les vaches et les veaux sont au pré. Des chiens paressent au soleil. Derrière une rangée de boxes, un maréchal-ferrant ferre un cheval. Et puis soudain, quelque part, une sono s’allume et un air de guitare s’élève, égrenant les notes chaloupées d’un boléro dans le vent salin :
Mon histoire c’est l’histoire d’un amour
C’est la flamme qui enflamme sans brûler
C’est le rêve que l’on rêve sans dormir
Un grand arbre qui se dresse
Plein de forces et de tendresse
Vers le jour qui va venir…

La Panik, un cirque à la ferme
© Christine Durand

Une petite porte s’ouvre au pied du hangar et voilà que surgit aux yeux du visiteur un surprenant théâtre, meublé de bric et de broc, sous la nef d’une immense charpente. Quel décor ! Tentures, horloges, parapluies et vieux abat-jours font flotter un charme suranné autour de la piste devant laquelle des tables et des chaises dépareillées attendent les spectateurs. Ce soir, c’est Apéro’Cirk, une « scène ouverte » qui permet à des artistes débutants ou chevronnés de présenter un premier numéro. Ces soirées cabaret attirent un public fidèle, l’association  le Hangar Saboté comptant  plusieurs centaines d’adhérents. On y vient pour boire un verre, manger « du bon, du bio et du local » et soutenir le lieu qui s’autofinance grâce à ces recettes. Jus de pomme, bière artisanale, cidre… tout vient ­des alentours. Pour la restauration, des maraîchers du coin fournissent les légumes. Au menu ce soir : « cappuccino de potimarron » (2€) et « curry de légumes et lentilles, patate douce, coco » (5,50€). Pendant que musiciens et artistes répètent, une équipe de « petites mains » s’affaire aux préparatifs. En cuisine, Thibaut, Marion et Alex attaquent la plonge après avoir aidé Les Potes au Feu, un traiteur bio de Séné, à préparer le repas tandis que Camille et Émilie s’occupent du bar. En six ans, le Hangar Saboté a su créer un bel élan collectif. Il y a les bénévoles de l’association : graphiste, monitrice d’équitation, cuisinier, maraîcher… Les voisins qui ont donné des meubles ou des objets. Le réseau associatif, culturel ou professionnel, des partenaires locaux. Céline et Jean-Paul, les éleveurs qui mettent à disposition le hangar situé sur leur exploitation. Et puis la compagnie de cirque équestre La Panik !, à l’origine de cette aventure.

« Le hangar de traite était vide »

La Panik, un cirque à la ferme
© Christine Durand

La Panik ! est arrivée ici par hasard, il y a six ans. Trois jeunes artistes-cavalières, Laura Chassagne, Marine Janot et Latifeh Hadji venaient juste de fonder la compagnie après avoir suivi une formation d’acrobatie à cheval au centre des arts équestres du cirque, près de Beauvais. « On s’est installées avec nos chevaux à Questembert où on nous avait prêté un terrain, raconte Laura.

Céline et Jean-Paul Renouf, de la ferme de Coqueno
© Christine Durand

Pendant l’été, on a présenté notre premier spectacle dans la rue, à la sortie des plages. Puis on a cherché un endroit où passer l’hiver. » C’est à ce moment qu’elles rencontrent Céline et Jean-Paul Renouf, de la ferme de Coqueno, venus assister à une représentation. Le couple est arrivé à Sarzeau une dizaine d’années auparavant pour reprendre cette exploitation de 90 hectares et cent bovins qu’ils ont mise aux normes, convertie en bio et complétée par trois gîtes touristiques. « On venait de vendre les trois-quarts de notre troupeau et d’arrêter le lait après avoir subi quatre crises laitières en dix ans, explique Jean-Paul. Le hangar de traite était vide, ce qu’on avait du mal à supporter. Alors on leur a dit de passer voir. » « À la base, ça devait être juste un lieu de répétition », précise Latifeh. Mais le succès des Apéros’Cirk – jusqu’à trois cents spectateurs par soirée – a encouragé la compagnie à s’installer. Elle a pu acheter un camion et nourrir ses chevaux, Moundy, Vasko, Vol de Nuit et Zéo. Aménager le hangar de 700 m² avec de la récup’, des toilettes sèches, une caravane-bureau-régie et des loges en mezzanine. Enfin, investir dans un chapiteau de 300 places. Celui-ci accueille chaque été, dans la cour, les créations professionnelles de La Panik ! qui partent ensuite en tournée dans toute la France, ainsi que des compagnies d’un peu partout (onze résidences artistiques à ce jour) ou divers ateliers (acro-yoga, clown, forge, trapèze…). Six spectacles ont ainsi vu le jour, mêlant voltige, théâtre, danse, mime.
La compagnie s’est étoffée avec l’arrivée de Marie Baxerres (comédienne) et Glenn Le Doujet (musicien). Décors, régie son et lumière… elle fait vivre aujourd’hui sept personnes et emploie chaque année deux volontaires en service civique. « On fait tout de A à Z, y compris la communication et la diffusion », dit Laura. La billetterie assure l’essentiel des revenus, complétés par « des aides à la création qui facilitent les frais de transport, de chauffage du chapiteau et des costumes ». ​Les communes et le département ont également soutenu le projet. À la ferme, la vie a changé. « Au départ ça n’était pas évident, constate Jean-Paul. On se lance avec des jeunes qu’on ne connaît pas, on découvre leurs problématiques économiques. Le monde agricole ne voit pas toujours ça d’un œil bienveillant. Ensuite le projet a pris de l’ampleur. Ça a apporté des difficultés de fonctionnement et aussi de bonnes choses. » « On est surpris d’être arrivés à ça et contents du résultat car le lieu fait vivre onze personnes à temps complet et notre famille », ajoute Céline. Le projet va évoluer puisque La Panik ! étudie la possibilité de s’établir dans un autre lieu dans les deux ans à venir : la compagnie cherche plusieurs hectares de terres en Bretagne mais elle continuera à présenter ses spectacles au Hangar Saboté qui poursuit ses activités associatives sur la ferme. En selle pour de nouvelles aventures !

Christine Durand, mai 2018