Le génie de la toupie

Stéphane Perraud, juillet 2016

Toupie or not toupie ? Philippe Dyon ne se pose plus la question. Cet ancien ingénieur, devenu tourneur sur bois, crée des modèles plus incroyables les uns que les autres. Retrouvez aussi ses étonnantes démonstrations de toupies en video.

Philippe Dyon
© Stéphane Perraud

Sur la place de Sigy-le-Châtel, il n’y a pas de commerces, mais un fabricant de toupies. Le soir après l’école, les enfants du village s’invitent volontiers dans son atelier. Quand Philippe Dyon redevient alors le petit garçon qui, à 10 ans déjà, fabriquait ses premiers prototypes sur l’établi paternel : « Regardez celle-ci. Quand vous la lancez, elle se retourne toute seule et tourne sur la tête ! Etonnant, non ?» glisse-t-il avec malice. Avant d’en arriver là, Philippe a d’abord fait des études de maths, puis les Arts et métiers, pour obtenir un diplôme d’ingénieur en mécanique. Lequel l’a conduit tout droit chez le géant français de l’aluminium. Mais à 30 ans, il trouve que sa vie professionnelle manque de sens. Il fait alors jouer ses droits à la formation et devient tourneur sur bois en Bourgogne. « En optant pour un métier manuel, j’ai eu la sensation de me remettre sur mon axe, assure-t-il avec le sens de la formule. J’avais enfin trouvé ma voie, ce pour quoi j’étais destiné. »

Un inventeur né

© Stéphane Perraud

Sa brève carrière d’ingénieur lui permet de maîtriser les lois de la physique. Son passé ressurgit quand il présente quelques-uns des 200 modèles qu’il fabrique ici. Avec pour seuls outils une scie à ruban, un tour, des gouges et beaucoup d’imagination. « Prenez l’anagyre. Sa forme très particulière lui donne d’étonnants pouvoirs, annonce-t-il en la lançant sur la table. Quand j’approche un objet sans couleur, elle continue de tourner. Mais lorsqu’il s’agit d’un objet coloré… Elle s’arrête et repart dans l’autre sens ! s’exclame-t-il, sûr de son effet. Je vous laisse réfléchir comment c’est possible. Quant à cette toupie pour laquelle j’utilise un propulseur, elle tourne à près de 400 tours par seconde ! Ce qui lui donne une élasticité surprenante », explique-t-il en la faisant rebondir comme si elle était en caoutchouc. Même s’il prétend travailler à l’instinct, sans calcul, Philippe Dyon n’a rien oublié de la mécanique des forces. Des collectionneurs viennent le voir du monde entier. Ils découvrent, émerveillés, la toupie sauteuse juchée sur son ressort et la toupie doigt, capable de tourner avec un angle à 45 degrés en équilibre sur le pouce. Sans compter toutes celles fondées sur des illusions d’optique, comme la toupie Saturne, qui une fois lancée, se comporte telle une petite planète avec des anneaux qui semblent détachés de son corps ! Fascinant.

Une toupie pour chaque habitant

des toupies en bois et originales
© Stéphane Perraud

Chaque modèle a son histoire, que Philippe met parfois en scène dans des spectacles pour les habitants de son village d’adoption. Tout le monde ici possède au moins une de ses toupies. Lors de son arrivée dans la commune en 1996, il en a offert une à chacun ! Et face à tant de créativité, il est difficile de résister à la tentation. D’autant qu’il pratique des tarifs attractifs. Les premiers modèles démarrent à 1 € et l’essentiel de la gamme tourne entre 3 et 10 €. Les toupies les plus perfectionnées montent à 32 €. « Pour fixer des prix justes, je facture au temps passé. Cela rend mon travail accessible à tous. On est loin des sommes pratiquées par les artisans d’art. Je refuse d’ailleurs ce terme. Il y a déjà art dans artisan », explique-t-il. Au-dessus de son atelier, on découvre un petit musée dans lequel il expose des sculptures en bois tourné. « Cela pourrait sans doute me rapporter beaucoup d’argent dans une galerie, mais je considère que l’art ne doit pas être vendu ! C’est un acte gratuit. » Un choix radical qu’il explique dans deux essais autoédités (voir encadré) et qui n’est pas sans conséquences financières. Philippe a divisé son salaire par quatre en quittant son premier métier pour s’installer comme artisan. Aujourd’hui encore, il avoue ne pas gagner le smic ! Sa femme, Yvonne, est nounou. Le couple et leurs deux filles vit simplement. « Mais j’ai le temps de faire mon jardin. Et des toupies que les enfants du village peuvent s’offrir. N’est-ce pas le plus important ? »