Benoït Courault, viticulteur
© Stéphane Perraud

C’est une belle pluie d’été. Derrière les essuie-glaces, on hésite entre deux routes. Partout autour, des vignes. Et puis soudain, deux chevaux de trait. On y est. « Vous avez trouvé facilement ? ironise Benoît Courault en venant à notre rencontre. Oui, je sais, je ne suis pas fléché. C’est le Syndicat viticole qui s’occupe de ça. Pour eux, je n’existe pas vraiment », s’amuse-t-il en secouant ses boucles blondes. On le jurerait rugbyman ou déménageur. Il est vigneron à Faye d’Anjou. Presque aussi baraqué que Tulipe et Norouet avec lesquels il laboure ses vignes. « Les paysans d’ici me respectent pour mon travail avec les chevaux. Mon vin en revanche est un peu éloigné des standards auxquels ils sont habitués. Mais il plaît à d’autres. Je vends mes bouteilles partout en France et à l’étranger. »

 

« Ils révolutionnent le goût du vin. »

Pas évident d’être prophète en son pays quand on produit du vin naturel, sans intrant, de la ­culture de la vigne jusqu’à la vinification. Ce retour aux sources peut désorienter. « Il faut réapprendre à boire, oublier les habitudes gustatives imposées par la chimie et revenir aux fondamentaux, avance-t-il. Le vin, c’est du jus de raisin fermenté. On doit retrouver le goût du fruit. Et celui du terroir, car chaque parcelle possède un sol différent. Accepter aussi que les cuvées changent d’une année sur l’autre en fonction de la météo. Le vin est un produit vivant. Pourquoi chercher à le corriger, l’aseptiser, l’uniformiser ? » s’interroge cet ancien sommelier qui a suivi deux ans de formation à la viticulture pour se reconvertir. « Je n’ai jamais appliqué ce que j’ai appris : les traitements massifs dans la vigne, puis le bricolage au chai en ajoutant du sucre pour remonter le degré d’alcool et des levures ou des copeaux de bois pour transformer le goût. Le vin est le seul produit alimentaire pour lequel il n’y a pas d’obligation d’indiquer les composants. Heureusement, ça ferait le tour de la bouteille ! »
Avec un tempérament pareil, pas étonnant que Benoît Courault soit sorti de l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) Anjou. Sur ses étiquettes, il indique juste son nom, celui de la cuvée, le millésime et la mention Vin de France. La prudence est de mise. En 2014, un de ses confrères a été condamné en justice pour avoir apposé la mention « Anjou » sur ses bouteilles. Si le vin naturel représente moins de 1 % des volumes produits dans l’Hexagone, il dérange le milieu viticole, très conservateur. « Normal, ces vignerons ne sont pas issus d’une famille agricole. Ils travaillent sans intrant dans la vigne, sans additifs à la vinification et ils révolutionnent le goût du vin ! » analyse Antonin Iommi-Amunategui, auteur d’ouvrages sur le sujet (voir interview ci-dessous). La révolution a démarré timidement dans le Beaujolais au milieu des années 1970 pour gagner l’Alsace, le Languedoc, la Val de Loire, le Jura… Et quelques pays étrangers. On compte environ un millier de vignerons naturels dans le monde dont la moitié en France. Chaque année, de nouvelles têtes s’installent. Le choix des territoires n’est pas un hasard. « Ici en Anjou, on trouve encore des parcelles à 10 000 € l’hectare. Un jeune peut s’installer et produire du vin sans trop s’endetter. En Champagne, dans le Bordelais ou en Bourgogne, les tarifs sont quinze fois plus élevés. C’est quasi impossible », expliquent Nadège et Laurent Herbel.

 

« Surtout ne pas laisser un sol nu, sinon il s’appauvrit. »

La famille Herbel
© Stéphane Perraud

Ce couple d’origine bretonne travaille sur 3,3 hectares de vieilles vignes à Saint-Lambert-du-Lattay (Maine-et-Loire). Laurent est élagueur de formation. Nadège est passée par le commerce équitable et connaît les chiffres. Leurs rendements varient selon les parcelles, de 5 à 35 hectolitres l’hectare. En conventionnel, on est plutôt à 60 hectos l’hectare dans la région ! Malgré une production limitée à 8 000 bouteilles par an, ils parviennent à vivre de leur activité. Leur investissement initial de 80 000 €, terres et matériel compris, ne plombe pas leur budget. Ils écoulent la totalité de leur vin sur les salons, dans les restaurants et à l’export. « Nos clients étrangers ont un palais moins formaté. Ils acceptent de se laisser surprendre, remarque Laurent. Tant mieux, on ne sait jamais quel vin on va faire. C’est le raisin qui décide. » Ainsi, en 2012 et 2013, ils ont renoncé à leur prestigieuse cuvée La Pointe car le fruit n’était pas assez concentré pour justifier un élevage en barrique. Là où d’autres auraient eu recours à des levures exogènes aromatisées pour rectifier le goût, Ils ont préféré assembler les récoltes et produire un blanc simple – mais réussi – qui s’est très bien vendu. L’honnêteté paye.
Le rapport de confiance entre consommateurs et producteurs de vin naturel est important. Les ventes se font en direct ou chez des cavistes spécialisés. La demande est supérieure à l’offre, mais on trouve des bouteilles à moins de 10 €. Un tarif accessible pour un vrai vin bio. Car tous travaillent dans une logique d’agriculture biologique, même si certains ne le mentionnent pas, estimant le cahier des charges trop léger (voir encadré). « On s’est fait virer d’un salon bio parce qu’on allait trop loin dans la démarche », témoigne Laurent Herbel, apôtre de la biodynamie. Il sème de la moutarde comme engrais vert, renforce sa vigne avec des purins de plantes et regarde pousser le millepertuis entre les rangs. « Surtout ne pas laisser un sol nu, sinon il s’appauvrit. »

 

« Les sulfites tuent le vin, l’empêchent de se développer et donnent mal à la tête. »

Noëlla Morantin
© Stéphane Perraud

Des vignes fleuries, on en trouve aussi chez Noëlla Morantin, à Pouillé, aux portes de la Sologne. Ici, les herbes folles protègent les coteaux de l’érosion. Il y a quinze ans, Noëlla portait des tailleurs et travaillait dans le marketing. Aujourd’hui, elle arpente ses 6 hectares de vigne avec de gros godillots. Entre-temps, elle a passé un BTS en viticulture et œnologie et suivi des stages chez des vignerons naturels. « Une claque ! J’ai eu l’impression de redécouvrir ce qu’était le vin. Depuis, je ne peux plus boire autre chose », témoigne-t-elle. Pour se lancer, elle a d’abord travaillé sur des vignes appartenant à une importatrice japonaise, avant de passer à son compte en 2008. Elle produit huit cuvées à partir de vendanges manuelles qui partent directement au pressage et fermentent un an en barrique sous l’action de levures indigènes, que le vin produit naturellement. Le vin se fait presque tout seul. Elle ajoute à ses blancs 1 gramme de soufre par hectolitre pour minimiser les risques d’oxydation. « C’est infime, indécelable au nez, assure-t-elle. Les conventionnels en mettent 15 fois plus ! Les sulfites tuent le vin, l’empêchent de se développer et donnent mal à la tête. » Noëlla a un principe : une cuvée par parcelle. Elle produit trois Sauvignon différents là où beaucoup n’en feraient qu’un. « C’est du travail en plus, mais je peux ainsi sublimer chaque terroir. »

Céline Gormally
© Stéphane Perraud

Fort rapport à la terre aussi chez Céline Gormally, installée depuis 2008 à Passenans dans le Jura. « Ma première vigne avait subi beaucoup de traitements et le sol se cassait la figure », se souvient-elle. Pour lui redonner richesse et vitalité, elle opte pour la technique de la bouse de corne. Elle garnit des cornes de vache avec de la bouse et les enterre à l’automne pour qu’elles fermentent tout l’hiver. Au printemps, elle récupère une préparation brune qu’elle épand, diluée, dans ses vignes. « Cela favorise l’activité microbienne et la formation d’humus. Le sol redevient souple », explique-t-elle. Elle travaille actuellement sur cinq hectares, dont deux sont propriété de la foncière Terre de liens. « J’avais la possibilité de les acheter, mais j’aime l’idée qu’une partie de mes vignes sera transmise à un autre viticulteur bio après moi. » Malgré une surface limitée, elle possède tous les cépages du Jura : Chardonnay, Savagnin, Trousseau, Pinot noir et Poulsard. Le nom de son domaine, Les Dolomies, fait référence à la roche calcaire sur laquelle s’accroche son vignoble. Cela se retrouve dans ses vins. Le Chardonnay Les Combes affiche une acidité, une salinité et une tension inattendues. Cette année, son mari Steve, ancien consultant culturel, l’a rejoint. Ils sont désormais en Gaec. Lors des vendanges, ils retrouvent des clients qui les suivent depuis le début, à travers un système de pré-achat de bouteilles par cycle de trois ans.

Le Gamay de l’ancien informaticien

Romain des Grottes
© Stéphane Pornin

Il fait bon aussi vendanger chez Romain des Grottes à Saint-Etienne-des-Oullières dans le Beaujolais. Cet ancien informaticien parisien, tombé dans le vin naturel il y a quinze ans, sort pour l’occasion son piano à roulettes et joue au milieu des vignes ! Sur huit hectares, il produit un Gamay frais et léger, avec beaucoup de finesse. Un vrai Beaujolais, garanti sans sulfites. Les anciens lui disent qu’il leur rappelle le vin de leur jeunesse. Un beau compliment. Pourtant à son arrivée, Romain en a surpris plus d’un. Il a arraché un rang sur deux pour y semer… des céréales ! « La terre était appauvrie par les traitements phytosanitaires à répétition. Enlever un rang a redonné de la force à la vigne et les céréales nourrissent le sol », explique-t-il. Il pulvérise un extrait fermenté d’ortie, stimulateur naturel de croissance et ajoute de la tisane de sureau qui joue un rôle fongicide. « La plante réapprend à se défendre seule. Pour autant, cette année, il a beaucoup plu et les rendements seront faibles. » Il s’avoue inquiet pour la vendange, mais philosophe. « On a récolté de l’orge. On pourra toujours faire de la bière… »

 

En 3 questions : “une vraie reconnaissance”

Pour Antonin Iommi-Amunategui, auteur, blogueur et organisateur de salons consacrés au vin naturel, le phénomène ne fait que commencer.


Comment expliquer le succès des producteurs de vin naturel ?
Si l’on n’hérite pas d’un domaine familial, il est impossible de se lancer en viticulture. Le foncier est introuvable ou inabordable. Sauf en vin naturel où l’on peut travailler avec quelques hectares seulement. Les producteurs s’entraident. Ils s’échangent ou se prêtent des parcelles… On ne retrouve pas ça en viticulture conventionnelle. Un vigneron naturel qui travaille bien se fera vite connaître par le bouche-à-oreille et pourra vendre toute sa production, sans être obligé de brader son vin dans les supermarchés. En quelques années, certains ont acquis une réputation internationale. Ils ont même des cuvées réservées à l’avance ! Après, il faut plusieurs années pour en vivre quand même…

N’est-ce pas un effet de mode ?
Une mode qui consisterait à boire sain comme on peut déjà manger sain ? Pourvu que ça dure ! Plus sérieusement, cela répond à une vraie demande de la société. Il y a des gens peu fortunés qui font l’effort de manger bio et local. Idem pour le vin. Cela permet de revenir à des circuits courts. C’est une filière artisanale avec une forte dimension humaine, alors que le vin conventionnel est dirigé lui par des lobbies.

Avec très peu de sulfites, on dit que c’est un vin risqué, qui peut sentir l’écurie ou pétiller à l’ouverture ?
Il existe quelques cuvées expérimentales pour les amateurs, mais aussi beaucoup de valeurs sûres. De plus en plus de restaurateurs proposent du vin naturel. C’est bon signe, car ils ne jouent pas avec leur clientèle. En revanche, le risque existe en amont pour le vigneron. S’il ne travaille pas bien, il n’a aucun moyen de rattraper le goût avec des levures par exemple… C’est le domaine de l’excellence.

Plus bio que bio ?

Le vin bio n’existe officiellement que depuis le règlement européen du 8 février 2012. Auparavant, la mention biologique ne s’appliquait qu’à la culture du raisin. En vinification, un vigneron pouvait utiliser n’importe quel produit chimique s’il le souhaitait. Désormais, la liste est réglementée. Mais des dizaines de produits restent autorisés, dont les levures exogènes, les copeaux, sans compter des techniques comme la thermo vinification qui consiste à chauffer le vin jusqu’à 70° pour détruire les bactéries… Cet encadrement, louable, laisse le champ libre aux vins bio industriels. On comprend pourquoi des producteurs naturels préfèrent se passer du label AB. Le consommateur n’a aucune possibilité de distinguer un vin bio artisanal d’un industriel.
C’est encore plus flou pour les vins naturels. Il n’existe pas de label, mais deux associations. L’AVN (Association des vins naturels) réunit une trentaine de vignerons autour d’une charte éthique et l’association Vins S.A.I.N.S. (Sans aucun intrant ni sulfite) en regroupe une quinzaine d’autres, engagés dans le zéro sulfite. Mais cela représente moins de 10 % des producteurs concernés. Lesquels ne veulent décidément pas entrer dans des cases ! Le consommateur a meilleur compte de se rendre sur un salon spécialisé ou chez un caviste pour s’initier. On trouve déjà plus de 200 caves spécialisées en France.

Aller plus loin : www.vinsnaturels.fr

Stéphane Perraud, septembre 2016