Créer un jardin partagé

Un peu partout en France, des groupes d’habitants se lancent dans la création de jardins partagés. Une aventure au long cours, aussi enrichissante qu’exigeante. Comment s’y prendre ? Quels sont les écueils à éviter ?

 

Les jardins partagés, un lieu de convivialité
© Sylvie Le Calvez

En Loire-Atlantique, les jardins partagés du Clos du Poivre se cachent au bout d’un chemin, à l’entrée du bourg d’Herbignac. Ce matin, une petite équipe est venue tondre les allées et planter des cerisiers. Il y a là Christian, Jacky, Anne et Thierry qui ont participé à la création du jardin il y a six ans. Lancé par la commune, le projet a été porté par une dizaine de personnes et rassemble 25 à 35 adhérents selon les années. Les premiers travaux ont mobilisé « beaucoup de volontaires » et laissé de bons souvenirs. Le terrain mis à disposition étant très ombragé, la mairie a fait abattre des arbres. La vente du bois (450 €), les cotisations (400 €) et une aide du conseil général (2500 €) ont permis d’acheter des plants, des outils… Aujourd’hui le budget annuel de 700 € suffit aux dépenses courantes.
Conseillée par Yves, un maître du jardinage bio, la culture sur buttes a été adoptée à l’unanimité. En revanche, le paillage a suscité un débat intense. « Chacun mène sa butte comme il l’entend mais on a fini par tomber d’accord sur la nécessité de pailler en hiver », se félicite Thierry. Les petits fruits et les aromatiques sont cultivés en commun, comme le verger planté avec Joseph. Christian, lui, s’occupe des 5700 litres d’eau stockées dans cinq cuves. Trois agriculteurs fournissent le bois d’élagage qui, une fois broyé, nourrit le sol. Des palettes ont servi à faire les châssis, des perches de châtaignier et des bottes de roseau à construire la cabane. Mis à part le manque d’implication de quelques adhérents, « un problème récurrent », le jardin se porte bien et enregistre « trois à quatre départs et arrivées par an ». Il a même obtenu un prix régional.

Qu’est-ce qu’un jardin partagé ?

C’est un jardin conçu et autogéré par un groupe d’habitants et fondé sur la convivialité. Pas besoin d’être un as du jardinage, tout le monde peut participer.

À quoi ça sert ?

« On ne vient pas que pour jardiner », précise Céline Viaud, mais aussi pour retrouver le goût des saisons, apprendre la nature à ses enfants, rencontrer des gens… On échange des tuyaux, des recettes de cuisine, on découvre d’autres façons de cultiver: « en fait le jardinage est surtout un prétexte! »

Pourquoi un tel succès ?

Les jardins partagés ne fleurissent pas qu’en ville mais également dans les communes périurbaines et rurales où les terrains disponibles sont généralement plus nombreux et plus grands. « On pourrait croire qu’à la campagne, les gens ne sont pas demandeurs car ils ont déjà leur propre jardin. En fait, ils veulent jardiner différemment et expriment un besoin très fort de lien social », explique Jean-Baptiste Casa. « Le jardin fédère tout le monde, que l’on soit jeune ou âgé, riche ou pauvre », confirme Michel Campion. Cette capacité à rassembler n’a pas échappé aux élus municipaux qui désormais « veulent tous un jardin partagé ! »

* Nous remercions les quatre spécialistes qui nous ont conseillés pour la réalisation de ce dossier : Céline Viaud (Semeurs de Jardins à Montpellier), Benjamin Gourdin (AJOnc à Lille), Michel Campion (Vert le Jardin à Brest) et Jean-Baptiste Casa (Ardes à Caen).

 

ON PRÉPARE LE PROJET

Qui porte le projet ?

Cela peut être un groupe d’habitants, la commune, le centre social… Souvent, quelques passionnés de jardinage forment le noyau de départ : ils font une ébauche du projet puis rencontrent les élus pour s’assurer de leur soutien et voir ce qu’il est possible de faire ou pas.

Quels partenaires solliciter ?

– les services municipaux (espaces verts, urbanisme, etc.)

– la communauté de communes, le conseil départemental ou régional

– l’association de quartier, l’école, la maison de retraite…

– des professionnels de l’animation, de l’éducation à l’environnement, de l’action sociale…

– des personnes-ressources prêtes à apporter leur savoir-faire (taille des fruitiers, rucher…)

Il est important dès le départ de bien clarifier les rôles de chacun et de faire régulièrement le point sur les problèmes éventuels. « Tous les partenaires doivent se concerter, sinon ça ne marche pas », prévient Benjamin Gourdin. « Le faire ensemble, ça se travaille en permanence », affirme Michel Campion en soulignant que les services des espaces verts, autrefois très réticents, coopèrent plus facilement à ce type de projet.

Qui va participer ?

Le jardin est ouvert à tous, habitants de longue date et nouveaux venus, de toutes professions et catégories sociales. « Le mélange, c’est une des clefs de la réussite », constate Benjamin Gourdin. Généralement, « cinq à dix personnes forment le noyau dur qui va être le moteur, le deuxième cercle rassemble une vingtaine de jardiniers et le troisième cercle, une cinquantaine de participants potentiels ».

Expliquer le projet

Plusieurs rendez-vous (réunion publique, animations sur le terrain…) sont organisés afin de mobiliser le plus largement possible.Ne pas hésiter à faire du porte-à-porte: « le jardin ne fonctionne pas en vase clos, il faut aller voir les riverains, les rassurer », conseille Céline Viaud. « Parmi les craintes les plus courantes, on entend dire que la mare va attirer les moustiques et que les cabanes vont être vandalisées », ajoute Benjamin Gourdin.

Trouver le terrain

L’emplacement est décisif. « En ville, un jardin en pied d’immeuble fait partie intégrante du lieu de vie alors qu’en milieu rural, c’est un peu plus complexe. L’habitat est dispersé. Si les gens doivent faire 15 km pour venir jardiner, ça ne prend pas », observe Jean-Baptiste Casa. Plutôt qu’un superbe terrain perdu en campagne, mieux vaut choisir une parcelle proche du bourg, même en friche. Les communes ont souvent des espaces délaissés qu’elles apprécient de voir remettre en état. Lister les atouts du terrain (accès, exposition, mare ou ruisseau) et les travaux à prévoir (nettoyage, débroussaillage…). Une convention d’occupation est signée avec le propriétaire.

Rester motivé

Tout le monde a hâte de voir le jardin sortir de terre mais il peut s’écouler plusieurs mois avant de donner les premiers coups de bêche. Obtenir les autorisations ou apprendre à travailler ensemble prend du temps. La mise en place du jardin va s’étaler sur un à trois ans. D’où l’importance de « s’appuyer sur un groupe stable pour assurer la pérennité du projet », insiste Benjamin Gourdin.

Du rêve à la réalité

À quoi va servir le jardin? Que va-t-on cultiver et comment? Chacun a des idées et des avis à défendre. L’heure est à la concertation! C’est une période riche en débats et rencontres : le groupe va visiter d’autres jardins, glaner des conseils, dessiner les plans des futurs aménagements, etc.

ON PASSE À L’ACTION !

Un inventaire de la flore et de la faune est toujours utile avant de passer aux travaux. Le gros oeuvre est généralement pris en charge par les services techniques de la commune (terrassement, drainage…). De leur côté, les jardiniers s’attaquent au débroussaillage et à l’aménagement du terrain.

S’organiser

La plupart des jardins ont un statut associatif afin de faciliter les démarches juridiques et administratives. Les jardiniers décident ensemble du fonctionnement (vote à la majorité ou recherche du consensus). Mieux vaut adopter au départ un cadre assez souple. Le règlement intérieur précise les conditions d’occupation des parcelles, le montant des cotisations, les horaires d’ouverture au public et les diverses recommandations qui s’appliquent aux jardiniers ou à leurs visiteurs.

Cultiver

Certains jardins proposent uniquement des parcelles collectives avec partage des récoltes, d’autres uniquement des parcelles individuelles. Troisième possibilité, panacher les deux formules. Chaque jardinier a ses habitudes : il y a ceux qui bêchent en profondeur, ceux qui veulent tester la permaculture… « Que le jardin soit en ronds, en buttes ou en carrés, peu importe, dit Michel Campion. Le but est que chacun trouve du plaisir à jardiner. » Certains vont beaucoup s’occuper du jardin, d’autres seront moins assidus, d’autres encore abandonneront, mais feront le bonheur de nouveaux jardiniers!

Place à la récup’ !

« Un jardin, ça ne coûte pas très cher, affirme Benjamin Gourdin. Mis à part le bâchage de la mare qui est souvent le plus gros investissement, on part sur le principe de la débrouille et de la récup’. Il faut toujours penser à économiser, par exemple en faisant du troc de graines ou en échangeant ses plants en surplus avec d’autres jardins. » Quant aux outils, « on en récupère en pagaille dans les ressourceries, indique Jean-Baptiste Casa. En mutualisant le gros matériel comme les tondeuses, les dépenses tournent autour de 200 à 300 € pour 2000 m2.»

Trouver un financement

Certaines collectivités territoriales dispensent des aides. La région Poitou-Charentes a par exemple soutenu 57 projets de jardins à hauteur de 327 000 € lors des cinq dernières années (Tél. : 05 49 38 47 16). Le Pays de Grasse propose aux porteurs de projet une formation gratuite et une aide de 2000 € (Tél. : 04 97 05 22 58). Autres pistes : la CAF, la fondation RTE, la fondation Nature & Découverte…

Se faire accompagner

De nombreuses associations, en particulier celles du réseau national du Jardin dans Tous Ses États, mettent des outils à disposition de leurs adhérents : – annuaire des jardins, agenda, petites annonces ; – conseils pour monter son projet, formations gratuites ou payantes ; – ateliers jardinage et échanges d’expériences ; – accompagnement et suivi par un animateur professionnel sur un à trois ans à la demande d’une collectivité ou d’un bailleur social.

9 points essentiels pour aménager le jardin

1. LES PARCELLES

Prévoir des tailles différentes : les jardiniers expérimentés ont l’habitude de voir grand alors que les débutants préfèrent commencer petit.

2. LES ALLÉES

Tracées de façon fonctionnelle, elles facilitent la circulation entre les principaux équipements.

3. LA CABANE À OUTILS

Très pratique pour ne pas avoir à transporter le matériel en permanence !

4. LE PANNEAU D’AFFICHAGE

Avec le contact d’un responsable, le calendrier des prochains rendez-vous…

5. LE COIN CONVIVIAL

Des bancs, une table pour les pique-niques ou les pauses-café.

6. LES AIRES DE STOCKAGE

Pour le fumier, la paille, les matériaux de récupération (châssis, planches, etc.)

7. LES ÉQUIPEMENTS DE BASE

Cuves à eau, petite serre, bacs à compost, toilettes sèches…

8. LA SIGNALÉTIQUE

Un fléchage sur la route, un panneau signalant l’entrée du jardin.

9. LES CLÔTURES

Elles délimitent le terrain sans le cacher. Éviter l’effet « barricade » : un jardin accueillant, bien intégré dans le quartier est rarement vandalisé.

 

4 conseils

Pour faire vivre le jardin : Organiser des chantiers collectifs Indispensable pour que chacun puisse s’intégrer au groupe et s’approprier le projet : construction d’une cabane, plantation d’un verger…

Cultiver la convivialité : Pique-nique, fabrication d’épouvantails, concours de soupes… les moments festifs sont importants !

Participer à la vie locale : En accueillant régulièrement les enfants des écoles, les résidents de la maison de retraite… Le jardin ne doit pas être « privatisé » au bénéfice d’un petit groupe mais profiter à tout le monde.

Échanger avec d’autres jardins : Les réseaux locaux sont une mine d’informations pour apprendre de nouvelles techniques et entretenir le moral des troupes !

 

Par Christine Durand, publié initialement en mars 2016